KL: Non, non, mec, attends, c’est pas une histoire de couilles, rien à foutre, tout le monde s’en branle de tes couilles, c’est une question d’instinct de survie, une équation. Un principe merde.
CW: Hein?
Le mec en face écarquille les yeux.
KL: Sérieux. Si X se tape Y et si Y se tape W, X se tape W par procuration. Tu comprends le délire? Donc ça part en couilles, si X se tape vraiment W, et que W pète le nez à Y car X lui a dit que Y lui a fait un coup de pute, là W et Y capteront les conneries de X et X est mort (le débit de parole est insoutenable, rapide, trop rapide). De toute façon, tout le monde te le dira mec, W+Y= emmerdes. Faut savoir choisir en fait, sauf si t’es comme ce putain de Batman et que tu peux t’envoler on ne sait-où pour sauver ta queue.
CW: Je suis X, c'est ça?
Il tire sur son joint, le passe à Kaleva.
KL: Apparemment.
CW: Et merde.
Kaleva crache, se redresse et essuie sa bouche avec son avant-bras:
KL: La grosse merde ouais. Putain mais t’es compliqué, mec, sérieux, c’est un truc de ouf. Tu peux pas grimper qu’une gonzesse à la fois, comme tout le monde bordel, baiser par procuration, y’a que ça de vrai maintenant. Des bisexuelles en plus, sale.
CW: Sauf si elles captent pas.
KL: Arrête tes conneries, si ça a jamais marché pour moi, alors toi.
CW: Bah justement.
Ils éclatent de rire.
KL: Bon j'ai rencard, je me casse. Préviens-moi si t'es mort d'ici-là.

(il roule en scooter, il n'arrivera pas à l'heure).

Kaleva pose sa bouteille sur la table en bois et s’étire, les bras hauts, comme s’il souhaitait cogner le Soleil. Coup d’œil à droite, rien, coup d’œil à gauche, rien: il soupire. Lora, de son appartement, brosse ses longs cheveux bruns, les laisse retomber naturellement sur ses épaules, avant de sourire au miroir et épousseter une dernière fois sa petite robe claire. Ses talons claquent et raisonnent dans le salon, son cœur se marre et ses yeux chantent, Lora peut débarquer à l’heure qu’elle désire, elle le sait, elle sait qu’il l’attendra et lui pardonnera dès qu’elle commandera son rhum coca. Lora est belle, peut-être trop belle. Une de ces beautés simples qui pourtant, de leurs grands yeux foncés, font trembler le désir et l'imagination des hommes. Une fille qu'il faut faire sourire et rire, qu'il faut emmener au cinéma le soir et au café le midi, qu'il faut aimer sans trop en faire, qu'il faut respecter sans trop en faire. Qui pleurera lorsque vous la quitterez et vous oubliera aussi vite que sa première larme versée, puisque l'Univers ne cesse de tourner et qu'elle tourne avec lui. Kaleva se contente de vérifier l'heure sur son Blackberry et coincer sa cigarette entre ses lèvres. La terrasse du bar est pleine à craquer, il fait trop pour beau pour s'enfermer entre quatre murs et avaler une boisson chaude, les serveurs courent çà et là, grenadines, oranginas, heinekens sur plateau, s’efforcent à maintenir le rythme, Kaleva lève son bras pour réclamer une autre Desperados. Lora descend les escaliers à vive allure, met ses mèches derrière son oreille à chaque marche, hoche la tête pour saluer sa voisine d’en-dessous, claque la porte de l’immeuble et disparaît dans la rue. Les mecs matent Lora dès qu'elle fait danser ses jambes, Lora matent les mecs dès qu'ils allument une clope et s'accoudent au mur, Lora étouffe un rire, les mecs étouffent leur ardeur. Lora ne s'arrêtera jamais, Lora les oubliera au prochain tournant; ils sont au parfum, c'est ainsi que court l'univers. Les nanas narguent, font briller leurs pupilles et valser leurs hanches, les gars se pavanent tels des paons, déballent leurs plus belles couleurs et briquets, tout doit paraître normal et désintéressé: les yeux ne feront que toucher, comme les ombres frôlent la lumière. Il sourit, embrasse sa joue, l'invite à s'assoir, Lora croise les cuisses et plonge son regard dans le sien. Kaleva observe de loin, rumine: connasse. Lora est une connasse puisqu’elle l’a quitté et ne le regardera plus jamais. Lora n'est qu’une pétasse qu’il ne recommandera à personne, ni aux types biens ni aux salopards. Puisque aucun autre con ne mérite de découvrir les courbes, le rire, et l’amour de la jolie Lora.

Il sort son portable, tape: Bon mec, je prends racines.
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