(rêverie.) je suis la fille de patti smith. et si celle-ci est la fille de rimbaud, alors je suis la putain de petite fille d'arthur. ça te botte de sauter la p'tite fille du poète ? non, parce que, si tu veux, je peux être barbe bleue ou danseuse étoile. jeune vierge effarouchée ou pute aux mille et uns charmes. sous tes yeux qui brillent, je me transforme, tu me façonnes. je prends vie dans tes fantasmes. j'habite ton cerveau, qui peine à s'mettre en marche. je comble ton corps, j'ignore ton coeur. on dit que tu me le rends bien, mais moi, j'ai oublié. et quand tu souffles, pouf, je disparais. je suis ton vent. je suis tes peurs. je suis tes nuits. je suis son âme. sombre ou étoilée. solitaire ou blanche.
je suis tornade, je suis lac paisible, je suis coup d'foudre. ferme les yeux. crispe les paupières - ressemble à un con, le temps d'un instant. allume le rêve, j'me charge du reste.

(on m'a vu dans le vercors, sauter à l'élastique, voleur d'amphores, au fond des criques. j'ai fait la cour à des murènes, j'ai fait l'amour, j'ai fait le mort, t'étais pas née. la nuit je mens, je prends des trains à travers la plaine. la nuit je mens, je m'en lave les mains. j'ai dans les bottes des montagnes de questions, où subsiste encore ton écho, où subsiste encore ton écho.) Elle raconte à qui veut l'entendre qu'elle est tombée amoureuse, une fois. Qu'une fois, une seule, son cœur s'est éveillé, qu'il s'est emballé, qu'il a eu une envie folle de dévaler des montagnes et de sauter du trente-cinquième étage en parachute. Qu'il a décidé de vivre. Sur un coup de tête. Et quelle tête. Quel visage. Elle avait de grands yeux : deux lacs sombre, paisibles et trop profonds pour ne pas décider de s'y perdre. Une bouche, petite, aux lèvres charnues et à la couleur d'un matin de printemps. N'importe qui aurait voulu s’étendre à la lisière d'une chaude nuit d'été en serrant la main de cette blonde farouche. Même Lore. Surtout Lore. Allez savoir pourquoi : dans l'innocence de cette gamine, elle était persuadée qu'elle pouvait se retrouver. Un peu. Le temps d'une vie. Elle aimait son rire léger, sa robe qui tournait et ses chevilles aussi fines que celles d'une ballerine. Elle était amoureuse de son cou blanc, de cette manière qu'elle avait de siroter sa bière et de ses genoux.
Elle s'était contentée de regarder l'enfant, perdue dans sa trop courte robe blanche, divaguant entre une table de billard où elle riait avec ses amis et le bar. Lore était seule, assise face à une table en bois dégueulasse, jouant avec la mousse blanchâtre de sa pression. Elle ne voulait pas faire de connerie. Elle ne voulait pas lui mentir, surtout pas, pas à elle. Elle avait peur de tout foutre en l'air à cause d'une connerie sur son âge ou sur le prénom de ses parents. Elle voulait être elle, Eleonore Stone, mais elle s'était perdue quelque part en chemin. Elle avait oublié sa date de naissance et même sa fleur préférée – peut-être était-ce le coquelicot, peut-être, quelle importance ? Elle ne savait plus si elle aimait vraiment la bière ou si elle faisait semblant, pour plaire à un homme qu'elle ne connaissait sûrement pas encore. Alors elle n'a rien dit. Elle a souri. Seulement. Avec cet air un peu absent qu'ont les gens qui aiment sans connaître et sans savoir. Elle s'imaginait mille vies déjà, avec sa blonde au bout du cœur.
Et puis, elle est partie.
Alors, la vie de Lore a repris son cours anormal.
Ou presque.

(pour les étoiles que tu sèmes, dans le remords des assassins, et pour ce cœur qui bat quand même, dans la poitrine des putains. pour les idées que tu maquilles, dans la tête des citoyens, pour la prise de la Bastille, même si ça ne sert à rien. thank you satan.)

Lore ?
Merde. Volte-face. Sourire carnassier. Ou presque.
Oui ?
J'me rappelle plus. C'est quoi ton nom, déjà ?
Lore.
Non. Pas ton prénom. Ton nom, c'est quoi ?
Stone.
Ha oui. Comme Sharon.
Merde (bis).
Non. Comme les Rolling.
Sourire ironique. Silence qui flotte, un instant, puis explose.
N'empêche, tu lui ressembles.
Auquel ? Mick ?
Il grimace. Il a rien compris. Il bafouille.
Non... Sharon. J'veux dire... T'es d'sa famille ?
Il perd pas le nord, l'bougre.
Ouais, c'est ça...
Surprise.
T'es sa fille ?
Soupir. Tu ne sais pas si la jolie blonde dont tout le monde connaît le jeu de jambes a une gosse ou pas.
Non. Sa nièce. Ouais.
Il va pouvoir dire à tout l'monde qu'il a sauté la nièce de Sharon. Personne ne le croira, ceci dit.
J'ai l’œil pour ça.
Tu vas pas le contredire. Il a l'air heureux. Tu enfiles ta robe, ramassée au sol. Elle sent le tabac. Froid.
Tu t'en vas ?
Non. Tu t'habilles pour aller aux chiottes.
Oui. J'ai des trucs à faire.
Reste.
Jamais. T'as envie de lui crier. JA-MAIS. C'est simple, non ?
J'peux pas.
Ta voix est douce, ton sourire est doux, ton regard est doux. Seul le poison entre tes mots est acide.
On s'reverra ?
Peut-être.
J'peux avoir ton numéro ?
Non.
Ce serait trop simple. Tu t'envoles. Vite. Tu t'envoles.

(ne dis rien, surtout pas, ne dis rien suis-moi. ne dis rien, n'ai pas peur, ne crains rien de moi, suis moi jusqu'au bout de la nuit, jusqu'au bout de ma folie, laisse le temps, oublie demain, oublie tout ne pense plus à rien. ne dis rien, surtout pas, ne dis rien suis-moi. ne dis rien, n'ai pas peur, ne crains rien de moi.) À trois. D'accord ? À trois. T'as pas peur, toi. Tu t'en fous, t'as pas peur. Tu trembles pas. À peine une frisson, à cause du vent qui fouette ta peau nue, déjà rougie par le froid. S'il faut vivre, si vraiment, il faut vivre, si c'est une obligation, si c'est ta punition, de vivre, alors tu préfères fixer tes règles. Tes propres règles, tu les inventes et tu les graves à même ton épiderme. Elles sont tes cicatrices, tes tatouages et tes bleus. Elles sont ta raison d'avancer, de voir plus loin, de ne pas te retourner. UN. Ta voix résonne. Tu l'offres au vide qui t'entoure, tu l'offres à cet homme qui te frôle, tu l'offres aux oiseaux qui se taisent pour t'écouter. DEUX. La nuit t'enveloppe, tu es Reine de la Nuit, Impératrice des Ténèbres. Tu fermes les yeux, comme pour mieux écouter les battements de ton cœur qui s'accélèrent. Tu sais que la délivrance approche, chaque cellule de ton corps vit dans l'attente du dénouement. Sa main se referme sur la tienne. Appel au secours. Il puisse sa force chez toi et tu ne lui en veux presque pas. De la force, tu es certaine d'en avoir pour deux. Au moins. Comme un défi à toi-même, tu cries le dernier chiffre, celui que même les vagues attendent. TROIS. Tu avances d'un pas. Le vide, immense, s'offre à toi. Quelques mètres plus bas, l'océan se déchaîne. La chute dure quelques secondes seulement, mais elle te semble être longue de plusieurs vies. Un sourire bouffe la moitié de ton visage et un éclat de rire presque démoniaque se fraie un chemin entre tes lèvres ouvertes. Tu ne respires plus. Ton cœur ne bat plus. Mais Dieu, ce que c'est bon, de se sentir aussi vivant. Tu lâches sa main. Peut-être un peu trop rapidement. Soit. C'est ton moment à toi. Rien qu'à toi. À l'intérieur de ton crâne, une galaxie toute entière prend forme. Explosions, étoiles, frissons.
Quand ton corps, entièrement nu, brise la surface glacée de l'eau, tu sursautes à l'intérieur de toi-même. Le liquide glacée pénètre ton nez, l'intérieur de ta bouche... Tu te débats. Tu essaies de lutter contre le courant, contre les vagues qui t'enfoncent vers les sombres profondeurs. Tu vois la plage. Si tu tends le bras, tu as même l'impression que tu peux la toucher. À l'écart des rochers, elle t'attend, patiente. Bien trop calme.