« maman ? » t’ouvres la porte de l’appart miteux, completement délabré, tu gueules son nom, une fois, deux fois. Trois fois, t’en as marre. elle répond pas. pourtant, tu sais qu’elle est là. t’en es persuadée, elle sort la nuit, elle. faire tu ne sais quoi. en fait, tu sais parfaitement ce qu’elle fait. pourtant, tu dis rien du tout. tu fais comme si tu savais pas. ton père aussi, il fait pareil. la vérité, c’est que ton père, il est là que pour toi, elle, il s’en fout, il l’aime plus. il la jamais aimée. il aurait pu partir, il aurait pu. il aurait pu te laisser à ta mère, comme font la plupart des mecs lors d’une grossesse non désirée quand on est aussi jeune. ta mère, cette toxico, cette nympho. mais non, pour toi, il est resté. t’es sa plus belle erreure, elle, la pire.
c’est con, parce que toi, si t’en avais l’occassion, l’occasion de partir, tu te casserais, sans te retourner, sans aurevoir même, sans regrets aussi. sans penser à tout ce qu’il a fait pour toi. ton, tu rêves d’endroits meilleurs, tu rêves de briller. on peut pas t’en vouloir. pourquoi t’en vouloir, hein ? pourquoi.
ils auraient été mieux sans toi, tu trouves pas ? tous les deux. ou chacun tout seul, tu sais. ta mère, tu t'en fous un peu de comment elle finirait. non, en fait tu t'en fous complet. elle crevera bien vu tout ce qu'elle prend. elle est jeune pourtant, 32 ans, t'as 13 ans, elle t'as eu à quoi? 19 ans? c'est jeune, elle est très jeune. pourtant, sa vie, c'est d'la merde, et si tu restes, ce sera pareil pour toi, les enfants suivent leurs parents, tu sais.
tu vas dans la cuisine, t'as froid. trop froid. « papa ? » personne ne répond non plus. lui, il est surement pas là. lui, il bosse, dur. et pourquoi, hein? ça sert à quoi d'bosser comme un dingue pour même pas réussir à se payer des conditions de vie respectables ? franchement ? à rien. ça sert strictement à rien, tu vois. tu cherches de quoi manger, t'as faim. t'as tout l'temps faim. et évidement, y a rien. faudra attendre ce soir. mais ce soir... ce sera trop tard. tu seras déjà plus là...

tu t'assoies et tu repenses à ce que cet homme t'as dit quelques heures plus tôt. quand il te disait comment t'étais belle, et combien c'était dommage que tu vives comme ça. parce que tu lui as raconté, dans ce banc. t'as pas résisté. tu voulais qu'on te plaigne. qu'on voit comme tu vivais dans des conditions misérables. au fond, c'est bien qu'on te plaigne un peu. de temps en temps. t'en avais marre de te la jouer super forte, tout va bien, rien n'me touche. c'est faux.
et lui, il a compris. il voulait t'aider. tu comprenais pas. tu le comprenais pas. comment il pouvait bien te comprendre? comme il pouvait être aussi gentil? sérieusement? ça existe des personnes vraiment gentilles? comme ça ? t'étais pas habituée à ce genre de trucs. c'était la première fois qu'un adulte te disait du bien de toi. te rassurait. ton pense, il en pense, du bien, tu l'sais. mais ça fait bien des années qu'il n'avait plus ouvert la bouche. muet? peut-être. le fait est que tu n'as que de vagues souvenirs de lui, en train de parler. et ces souvenirs s'effaceront avec le temps. c'est dommage petite fille, c'est vraiment dommage.
tu sors de la cuisine. tu vas vers le salon, qui sert de chambre aussi, à tout le monde. vous trois, ta mère, ton père et toi. ta mère dort encore. tu soupires. c'est un long soupire, trop long. « réveille-toi, t'entends ? réveille toi. » tu te rapproches. elle réagit pas, elle bouge pas. on entend même pas de respiration régulière. on entend même pas de respiration du tout. c'est pas bon signe, pas bon signe du tout, et pourtant t'es calme. t'es super calme. t'es trop calme, tu vois ? tu la touches, elle est froide, c'est normal, toi aussi, t'es froide, il fait froid. elle est blanche aussi, c'est normal, elle a toujours été blanche. t'as vu comment elle vit? t'as vu ce qu'elle se fait? c'est normal. normal.
« tu m'as demandée de te réveiller, alors réveille toi maman, réveille toi j'te dis. » mais pas une seule réaction, pas de réponse. tu devrais commencer à paniquer, mais tu paniques pas. tu paniques jamais toi, c'est pas ton genre, et pourtant tu devrais, tu devrais. elle est morte cette femme bordel, morte. c'est ta mère. tu t'en doutes. mais t'es là à la réveiller encore. morte. morte. morte. fais quelque chose. « tu peux n'jamais te réveiller si tu veux, j'm'en fous. de toute façon, moi j'pars. j'pars tout de suite. réveillle toi où je pars. » tu serais partie même si elle était réveillée. tu serais partie. t'as conclu ça avant même de rentrer. dis pas quelque chose de faux. t'es pas une menteuse. t'es pas ça. t'es pas une menteuse vika. mais tu l'deviendras. très vite. tu mets ta tête sur sa poitrine, tu veux écouter les battements de son coeur, mais rien. t'es là à esperer. tu restes comme ça cinq bonnes minutes. t'as l'impression d'être dans ses bras. mais elle t'as jamais prise dans ses bras. et puis, une étreinte, c'est chaleureux, et elle, elle est glacée. te fais pas des films vika. casse toi. « je... » tu quoi ? elle t'entend pas de toute façon, alors tais toi. pars. pars et reviens pas. jamais.
alors tu t'es levée. tu t'es dis que tu devrais lui fermer les yeux, mais ils étaient déjà fermés. t'aurais voulu faire ça pour elle, mais même ça, t'y as pas eu le droit. tu sais, oscar wilde disait « les enfants commencent par aimer leurs parents ; quand ils sont grands, ils les jugent ; parfois ils leur pardonnent. » mais toi, toi, tu l'as jamais aimée. jamais.
alors, t'es partie. et t'as tout laissé. t'as rien pris. t'as même pas prévenu ton père. pas une lettre, pas un mot. maintenant, il était débarassé de vous deux. il s'acheterai un studio, et il viverait plus ou moins bien. tu devrais t'estimer heureuse. tu devrais, mais tu l'es pas. tu te sens vide. tellement vide là.