Le vieux entre dans l'église. Elle n'est pas grande la môme. Voire même minuscule. Elle n'est habité que par quelques bigotes endimanchées qui murmurent à voix basse en lui jetant des regards mauvais, tripotant nerveusement des cierges. Les queues du Christ comme aime à les appeler le vieux. Les seules qu'elles peuvent encore allumer. Il ricane un instant puis lève les yeux vers une croix, se signe et se dirige en claudiquant vers le confessionnal. Un petit malin a collé Pour tous ceux qui ont péché et n'ont pas été touchés par la grâce de Dieu et Que viennent à moi les petites enfants sur le bois usé. Nouveau ricanement arthritique, décidément, cette petite église lui plaît bien. Il pénètre avec lenteur dans la cabine vide, s'assoit et referme le rideau, attendant que le prêtre veuille bien se manifester. Clac. Bruit d'un bouquin qu'on referme. Clac. Le petit volet s'ouvre, le cinéma peut commencer. « Je vous écoute mon fils. » Le vieux se dandine un peu, tentant de s'installer plus confortablement. Il aurait dû prendre son petit coussin. Il prend toujours son petit coussin d'habitude. « Bénissez-moi mon Père, car j'ai pêché mon Père. Un pêché mortel, mon Père. » Les mots roulent sous sa langue, le vieux aime bien ça. Toute cette petite mise en scène, cette ambiance qui sent le renfermé et ce mon Père, qu'il répète trois fois et qu'il prononce un peu plus fort. Il y a un lourd silence de l'autre côté. « Et quel est ce pêché mon fils ?
- Le pêché de chair, mon Père. » Il hésite un instant puis se lance finalement, déballant son histoire dans la moiteur du confessionnal. Des gouttes de sueurs perlent à son front, il les essuie machinalement avec un mouchoir crasseux. « C'est la faute de cette petite gouine de Poppy. Elle se promène toujours en petite jupe, vous savez, celle qui sont vraiment très courtes. Toujours à parler avec ses lèvres de putes, toujours avec son sourire de chienne en chaleur et ses seins, Seigneur, ses seins. Si vous les voyiez... Je peux fumer mon Père ? »
Le vieux n'attend pas de réponse. Il fait chaud mais il a quand même envie de fumer. Il sort un paquet de sèches éreintées et en cale une - un peu tordue - entre ses lèvres, fouillant ses poches à la recherche des ses allumettes. Il baragouine un moment en espagnol avant de les trouver, en enflammant une sur l'ongle de son pouce. La fumée ne tarde pas à envahir l'habitacle. « C'est une mauvaise habitude que vous avez là mon fils. Vous me ferez cinq Ave Maria de plus, lorsque nous aurons terminé tout ça. Alors, continuez à me parler de cette Poppy.
- Poppy..., commence le vieux, Poppy est gouine, comme je vous l'ai dit. » Il bute un peu sur le mot, comme si il avait du mal à admettre la chose. « C'est bien dommage, c'est du gaspillage même. Du gaspillage, oui. C'est ce que je me dit, chaque jours que Dieu fait mon Père. Moi, vous savez, à mon âge, j'aime regarder encore un peu les filles mais ma foi, ça va pas plus loin. Ma femme est morte y'a cinq ans, un cancer. Elle était encore belle à soixante-dix ans mon Alma. Mais comme je vous dit, ça fait un moment qu'il ne se passe plus rien dans le pantalon. Sauf avec Poppy. Elle a quelque chose, c'te foutue gamine. Quelque chose qui vous prend les tréfonds et qui vous les saigne, qui vous les arrache. Poppy elle vous regarde, et vous brûlez à l'intérieur. » Le vieux se tait un instant, l'air songeur. Il recrache peu de sa fumée, contemplant sans mot dire les volutes qui se tortillent dans l'atmosphère lourde. « Poursuivez mon fils. Qu'avez-vous fait devant la tentation ? l'encourage le curé de sa voix grasse. Un pêché de chair par cette chaleur, rien d'étonnant.
- J'ai cédé mon Père. Je l'ai choppé dans un coin et j'ai cédé. Ça m'est venu comme ça, j'ai su que c'était le moment. Doc et Samdi n'étaient pas là, ni même Cyriel. Elle était là et moi aussi. Nos regards se sont croisés mon Père, et j'ai senti que mes entrailles brûlaient. Comme un feu de paille mon Père, comme un feu de paille. » Sa voix se meurt. Le vieux soupire, semblant soudain très fatigué. Il aime bien ces petits moments où il est seul, où il peut faire ce qu'il veut. Mais ces petits moments ne durent jamais très longtemps. « Je vais devoir y aller mon Père. Je reviendrais un peu plus tard, peut-être. J'aime bien votre église. »

Le curé entend un rideau que l'on tire violemment, un corps qui se relève et des pas, lourds, sur le dallage ancien. « Attendez mon fils ! » Mais l'autre est déjà parti. Il se redresse avec difficulté, se prend les pieds dans une énorme bible qui traîne là, lâche un juron et arrive finalement à sortir du confessionnal à son tour, clignant un instant des yeux pour s'habituer à la soudaine lumière. Il cherche le vieux mais n'aperçoit qu'une silhouette courbée sur un banc, un garçon assez jeune. Il l'interpelle avec humeur. « Un homme, assez âgé vient de sortir, tu l'as vu ? » Le garçon lève les yeux vers le curé, un air de Saint collé sur le visage. Il a les mains jointes, un crucifix en argent pend à son cou. « Non mon Père, j'étais plongé dans ma prière. » L'homme se passe une main lasse sur le visage puis hausse les épaules, retournant à son confessionnal. Un taré de plus la nature.

Et je reprend ma virulente conversation, murmurant sans bruit.

Tu vois, Susèj, raconter tes petites histoires va finir nous attirer des ennuis. Si Doc apprend tout ça, tu sais ce qui va nous arriver ? Tu le sais, Susèj ? Il te respecte peut-être, mais un jour, ça changera. Surtout si il découvre ce que t'as fait à Poppy. Ils vont avoir une petite discussion, tout les deux. Parce que ça va l’exciter de savoir ce que t'as fait à Poppy. Tu le sais. Il va plus pouvoir se contrôler et ils vont avoir une petite discussion.

Qu'est-ce que tu veux que ça me foute Cyr ? Doc fait ce qu'il veut et moi aussi. Tu penses peut-être être le seul maître à bord, le Roi, celui qui nous dirige mais c'est faux. Ta sueur et ta pisse puent la peur, la peur, Cyr celle qui dégorge par chacun de tes pores, encore et encore. On t'entend pleurer la nuit, Cyriel, on t'entend.

Sucer mon crayon m'aide à réfléchir. Je ne fume plus, les autres le font assez pour moi. C'est fatiguant et cher. Ouais, me reste vraiment plus qu'à sucer le bout de mon crayon. L'inspiration a du mal à venir ce soir, elle s'est barrée avec ses veilles guenilles, ciao et démerdes-toi mon gars. Et puis Poppy m'inquiète. Je caresse la petite photo que j'ai d'elle, j'aimerais bien qu'elle soit là. Mais elle m'a dit qu'elle avait des trucs à régler, des trucs importants. Importants, ouais. Comme la clique de Susèj est absente là, elle en a profité pour aller les régler. Elle me fait un peu peur ces derniers temps avec toutes ses histoires. Bordel, il a quand même fallu qu'elle aille allumer le vieux. Elle a beau me dire que c'est pas sa faute, qu'il lui a sauté de dessus, qu'il l'a violé - ça m'fait rire - moi j'sais bien qu'en fait, elle adore jouer à la pute. Elle traîne son cul sous notre nez et elle fait la PUTE. Parce que c'est une SALOPE.

(silence)

Merde, v'là que mes mots s'égarent. C'est jamais bon quand je commence à penser comme ça. J'espère que Poppy va pas rentrer parce que si elle débarque maintenant, seigneur, qu'est-ce qu'elle va prendre. Je lutte, je lutte et y'a tout qui se déchire d'un coup, y'a le papier qui devient fou, il bouffe le crayon et les voilà. J'veux pas qu'ils viennent mais d'un coup ils sont là et Poppy a TOUT FOUTU EN L'AIR.

(on t'avait dit de pas faire le malin avec nous)

Il se tait. Et puis brusquement il n'est plus là. C'est Doc qui se lève, qui s'étire, qui fait craquer ses phalanges un bon coup. Le p'tit con était encore en train d'écrire d'la merde, comme d'habitude. Il se tartine de merde, il bouffe de la merde, il vomit de la merde mais il arrive pas à chier correctement, si c'est pas malheureux. Doc ricane et attrape son paquet de gitanes, s'en allumant une avec son zippo aux armes de la Nouvelle-Orléans. Il passe une main paresseuse dans son calbut, vérifie que tout est en place – ET SI LE PETIT CON AVAIT DÉCIDÉ DE SE COUPER LES COUILLES ? - et, constatant que tout va bien, il recrache un peu de goudron, satisfait. C'est bon, il a pas joué au plus malin. Faudra qu'il parle de tout ça avec Samdi ouais, le p'tit con file un mauvais coton. Ricanement gras. V'là qu'il se fait marrer tout seul maintenant.

« Samdi ? Samdi t'es là putain ?

- Ouais. Qu'est-ce tu veux ?

- OH ! Parle moi pas comme ça, j'suis ton frangin, un peu de respect. Ça te dis pas qu'on aille grailler un truc en ville ? On s'trouve un p'tit endroit sympathique et une p'tite chatte bien propre à fourrer. J'me sens sale après l'passage du p'tit con. Bordel, si c'est vraiment un pédé comme l'a dit Susèj, j'te jure que j'lui fait la peau.

- Mais non c'est pas un pédé. On aurait mal au cul sinon. »

Ils ricanent grassement. Doc trimbale sa carcasse jusqu'à la cuisine, laissant un petit chemin de cendre derrière lui, c'est dégueulasse mais il s'en fous. Y'aura bien quelqu'un pour nettoyer va. Et puis d'un coup il voit un truc qui le rend de mauvaise humeur. Il est comme ça Doc, un peu sanguin, comme tous les gars du Sud.

« HEY, il est où Pepe ? IL EST OÙ ? BORDEL IL EST OÙ ? La dernière fois il l'avait foutu dans l'placard. BORDEL, tu t'rend compte ?! Ce CONNARD l'avait foutu dans l'PLACARD !

Doc hurle un peu fort. Samdi se passe une main lasse sur le visage, il a l'habitude, et c'est son frère après tout. Inutile d'essayer de le calmer, d'un coup ça part pour des conneries puis ça se tasse. C'est ça, faut juste attendre que ça se tasse.

- Calme-toi putain, la voisine va encore se plaindre. Va voir dans le placard.

- Mais tu sais combien il a coûté ? TU SAIS ? C'est un pur race et l'autre il l'enferme dans le PLACARD ! J'vais lui faire la peau un de ces quatre, j'te jure. »

Mais il va quand même voir dans le placard. Il espère pour le petit con que Pepe y est pas. Il toque à la porte. Pas de réponse. Alors il ouvre la porte et là, jésus-marie-joseph, y'a le chien – un bull terrier blanc – qui se jette sur lui, comme pour le bouffer. Mais Doc le rattrape et le ceinture, lui gueule de se calmer direct. Pepe s’aplatit, on déconne pas avec Doc. Putain de clebs. Il doit être affamé, il va lui casser les burnes. Ça pue la pisse et la merde dans ce foutu placard. Il laissera un mot au petit con. Histoire qu'il arrête ses conneries. Ouais, parce qu'à cause de lui, le chien va être chiant. Il va falloir lui laver le cul, en prendre soin, le rassurer et compagnie. Doc se plaint mais il aime le bichonner son bichon. Il l'a élevé pour qu'il morde et quand il se promène dans la rue avec Pepe, personne ne bronche. Doc fait un peu peur, c'est un gars du Sud, comme son demi-frère, Samdi. Sauf que Samdi, c'est un mulâtre, c'est comme ça, Doc peut pas lui en vouloir, pas après tout ce qu'ils ont partagé.

(doc n'est un sale homophobe-machiste-raciste de blanc du sud)

Pepe est propre, il a bouffé, faut qu'il sorte maintenant. Doc lui met sa laisse, se cale une clope entre les lèvres, clac, clac, un coup de zippo aux armes de LNO et on y va. Samdi sort derrière eux, ferme la porte de l'appart' et voilà une bonne soirée qui s'annonce. Les emmerdeurs sont matés pour un temps, dieu merci. En parlant de Dieu, faudra pas oublier d'aller mettre un cierge à l’église pour Maman. C'est important le jour de son anniversaire, faut pas déconner avec ça. Ouais, faut pas déconner.

(et si doc apprend qu'on parle mal de lui, il vous tue)