Une porte claque, je ne sais pas quoi faire. Pas encore. Je n'arrive pas à me décider. La porte claque encore et encore, le bruit fait écho dans ma cervelle, je n'arrive pas à m'en défaire. Je grimace, me passe une main sur le visage. Je me sens épuisé. Qu'est c'que je dois faire ? Bordel ! J'inspire un grand coup, je ne vais pas pouvoir me retenir. J'ai des fourmis des orteils au cuir chevelu, des putains de frissons qui me submerge par vague. Ça fait déjà trois jours que je suis arrivé et à aucun moment je n'ai réussi à lui parler en tête à tête. Bon, admettons que la présence de ma soeur et du môme n'aide pas du tout l'entreprise. C'est atroce de penser ça, n'est c'pas ? Pourtant je le pense. Et j'en ai ras la casquette de me foutre des grandes baffes mentales. Que jésus, bouddha, le père noël ou tout autre divinité me pardonne : l'envie, j'y cède. Voilà. Point. Merde !

Ma bonne résolution installée bien au chaud sous mon marcel, je m'élance hors du lit avec précaution. Faire le con ok, mais réveiller le gamin serait une mauvaise idée : la conscience adulte se met en branle beaucoup trop aisément face à la candeur enfantine. Et Isaac est un papa poule, alors bon. J'suis pas fou quoi. Je ne m'étire pas, je ne fais pas craquer mes orteils en baillant sur ma nuit trop courte. Je me contente plutôt d'un rapide ébouriffage de cheveux et m'engage dans le couloirs. Ils ont choisis de la moquette, de la putain de moquette épaisse et douce qui s'infiltre entre les doigts de pieds. Béni soit le saint des vilaines tapettes piqueuses de maris, le parquet aurait trop rapidement trahi mon avancée adultère. En outre, supposons qu'Isaac me prenne pour Sam éveillé par un mauvais rêve et j'aurai décroché le gros lot… Allons ! Courage Gary au bronzage de fermier du Kansas ! Je m'arrête devant la porte de la chambre, une jambe fléchie et un bras au ciel en signe de triomphe proche. Mon cris de lionne au devoir accomplie reste silencieux, cependant. Puis enfin je tourne la poignet, maudit l'imperceptible déclic du verrou puis m'introduis avec la grâce d'une panthère clandestine. Il me fait dos, homme aux larges épaules toutes prêtes à supporter le poids des responsabilités paternels. L'idée que je suis vraiment ridicule m'effleure, mais je me fax malgré tout dans les draps, venant coller mon torse entre ses omoplates. J'aurai presque envie de ronronner, dieu merci ma fierté masculine m'en empêche immédiatement. À la place je reste silencieux, formulant quelque hypocrite ave maria histoire qu'il ne me jette pas trop vite. (ou pas du tout… Ah, l'espoir !)

Le contact des lèvres de Cassie se posant sur ma peau est comme un léger choc électrique de quelques secondes. Elle murmure un à plus tard auquel je réponds par une sorte de grognement approbatif et confus. La fatigue du professeur, branleur de première, à commencer ses journées le lundi, finir le vendredi, emploi du temps on ne peut plus parfait. Le meilleur métier du monde. Certes, les élèves n'étaient pas forcément des plus agréables, des plus passionnés surtout, mais avaient tendance à bien se comporter face à moi. Sorte d'évidence, il ne fallait pas chercher loin pour trouver la réponse au pourquoi. Physiquement, je tenais plus du boxeur que l'on pouvait voir en allumant sa télévision, ou du grand caïd terrorisant les ruelles sombres de San Francisco, que du prof de littérature sympathique, amoureux des auteurs français ou de la nouvelle génération américaine. Monde à l'envers, il ne fallait pas s'attacher aux apparences, l'habit dans ce cas là ne faisait pas le moine. Oh, j'aurais très bien pu prendre un chemin totalement contraire, m'aventurer dans je ne sais quel boulot minable, dans je ne sais quelle direction obscure, où la fortune me tendait les bras, où les femmes seraient tombées comme des mouches, où les regards pleins d'un respect obtenu par la peur auraient été monnaie courante. Ouais, j'en avais rêvé jeune. Ouais, je faisais parti de ce genre de gamin quasiment élevé par la rue quand papa et maman travaillaient trop pour maintenir la maison sur ses bases, et qui se la jouait souvent boss du quartier. Quelques cicatrices sur mon torse prouvaient ce genre d'aventures rapidement avortées. Grâce à Cass, grâce à ce rayon de soleil qui m'était apparu quand j'étais adolescent. Elle était devenue ma femme, m'avait poussé dans la bonne direction, et maintenant, la grasse mat était permise. Loué soit le seigneur.

Le matelas, léger de l'absence d'un de ses occupant retrouve soudain ses plis, plus lourd, gondolé. Corps collé contre le mien, je reste paupières fermées. Habitude, quand tu nous tiens, presque plus aucuns efforts dans le couple. Tout devient ritournelle. Encore plongé dans un semi sommeil, le fait que Cass m'ait dit au revoir il y a de ça une bonne dizaine de minutes ne m'inquiète absolument pas. Je finis par me retourner, en frottant légèrement mes paupières pour émerger doucement du sommeil encore latent. Main glissée par dessus les draps pour caresser le visage de ma femme, c'est une ossature différente que je rencontre. Os saillants au niveau des pommettes, et cheveux on ne peu plus courts. Un brusque mouvement de recul marque la fin du repos, me réveille pour de bon. Comme une jeune vierge prise par défaut, agrippe le drap pour le remonter jusqu'à mon torse, sourcils arqué par la surprise. Je manque de hurler, me rappel que la chambre de mon fils se trouve à quelques pas et que l'explication qui suivrait si jamais il entrait dans la chambre, et voyait tonton gary avec papa au lit serait des plus gênantes. Je reprends en chuchotant, essayant tout de même de mettre un peu de gravité, fermeté dans mon ton. « Gary, mais qu'est ce que tu fout ici ? »

J'suis un fou moi, un dingue mec, j'ai peur de rien. Sauf des tâches de moisissures dans les salles de bain, les bonbons ronds et verts, les ventilateurs (on croirait des hachoirs électrique, et personne ne s'en méfie !) et l'idée de me faire mordre les tendons par un mini-chien enragé. Mais passons, il n'y a rien de tout ça ici. Il y a surtout l'homme qui me rend fou. Parce que cet homme, le mari de ma soeur, je me suis soudain rendu donc du volcan qu'il réveillait en moi. Un jour comme ça, il m'a regardé, je crois bien que c'était la première fois que nos regards se croisaient véritablement. C'était à l'hôpital, Sam c'était cassé le bras lors d'une fête d'anniversaire en mode aventure et pendant que la maman poupounait son petit amour, nous nous sommes mit à discuter. L'indifférence polie qui nous avait jusqu'alors toujours liée c'est alors lentement changée en une ambiguité imprévue. MAIS, et il mérite largement des majuscules, voir une pancarte en néon accrochait au dessus de mon front, Isaac est amoureux de Cassie. Je ne peux décemment pas en douter. Alors, le désir, si puissant soit-il, peut-il battre la vie commune, les voeux en belle robe blanche, l'enfant, l'amour ? Peut-on tomber amoureux de quelqu'un d'autre malgré tout ça ? Suis-je aussi égoïste que ça ?

- Gary, mais qu'est ce que tu fout ici ? Il se retourne vers moi, encore englué dans la semi-conscience du réveil. Je le trouve beau, tout simplement. Son ton par contre, il est plus agressif que plein de miel. Dans un réflexe incongru que je me cache derrière l'oreiller appartenant normalement à cassie. Puis une idée, délirante, absurde, tout droit sortie d'un cerveau malade même, me saute au visage.

- Tu me prend pour mon frère maintenant Ismaël ? Dis-je en restant planqué sous mon coussin, modifiant ma voix dans le but, ridicule, de la féminiser. Tu n'embrasses pas ta femme ?

Gary, t'es trop con. Voilà c'que bougonne mon cerveau en me foutant des claques dans le cervelet. Exactement d'ailleurs, t'es qu'un putain d'écervelé Gary Heck ! Penses à ta soeur, à ton neveu ! Comment tu peux songer, rien qu'une seconde, à gâcher leur bonheur pour... Le mien ? Seigneur. Comment est-on sensé gérer le fait d'être amoureux ? C'est normalement d'avoir l'impression que j'ai une putain d'intoxication alimentaire ? Je me sens mal, coupable, crade. Et c'est de ces bras à lui dont j'ai envie pour me cacher. Mi-na-ble. Je soupire et me relève avant qu'il n'est eu le temps de répondre.

- Tu m'as manqué Ismaël... Ça ça m'échappe, dans un murmure aux yeux baissés. Je suis debout face au lit, une main tirant sur mon marcel pour dissimuler ma semi-nudité. Un enfant prit en faute avec la certitude adulte qu'il fonce droit dans un mur. Appuyant de toutes ses forces sur l'accélérateur en plus du reste.