J'aurai voulu être une femme, un soir sur deux l'envie m'attrape au tripes, me lessive l'intérieur avec la hargne d'une vieille femme aux genoux en silex. Puis elle m'abandonne sans se retourner, devenue volatile, me narguant d'une bruit de tape dans le dos au summum de la virile virilité. Suis-je fais pour m'astreindre aux collants, au noir qui englue les cils ou aux barbes de trois jours et leur redoutable rasoir électrique ? Suis-je devenu moi, ou une éponge imbibée du parfum Chanel du père ? Un monticule de questions s'engouffre en moi, se loge sous ma peau comme un millier de cafards aux pattes noirs et gluantes. Je ne trouve pas de dissolvant, leurs trainés visqueuses ne cessent de siffloter à mes oreilles une rengaine insupportable. Je suis devenu une ritournelle pour fête foraine décrépie, un hymne redondant qui pèse de tout son poids sur mon squelette. Jusqu'à quand vais-je errer sans savoir choisir, sans pouvoir trancher. Je suis du lard ou du cochon, indiscernable menteur, honteuse petite tortue qui écrase ses propres pieds. Le bus dans lequel j'ai grandis continue inlassablement de me boucher la vue. Ver de métal cabossé il gigote sur une complainte stridente d'Abba, mon paternel et ses ami(e)s, parés de milles bijoux, strass et coiffes en plumes de paon restant étendues sur le sol désertique de la région. Il y a du rouge qui glisse d'entre leur lèvres, je m'attend chaque fois à ce que ça soit du sang, à c'que mon angoisse soit contenue dans un carmin explicatif. Mais c'est du bloody-mary, je remarque que le verre à cocktail est coincé dans ma propre main. C'est moi en me penchant sur leur visage de clown à plates-formes qui est laissé des gouttes honteuses s'étaler près de leurs rouges à lèvres. Et puis, c'est toujours la même chose, mon marasme intérieur est mis à mal par un dossier épineux qu'une collègue pose sur mon bureau. J'entend l'enfant geindre à travers les lignes imprimées, il pleure son malheur à chaque interligne, étale sa morve sur la référence de son cas. Mais lorsque je serai face à lui, je n'entendrai plus rien. Le seigneur et ses anges fermerons poliment leur gueules, se contentants de regards narquois. Ils me coincent leur auréoles en travers de la gorge. Papa avait un crucifie accroché à son string. Cela expliquant cela, non ?

- D-Drake ?! Qu'est c'tu fous bordel ?
Décharge de glace en plein dans les reins, un froid polaire qui me chope soudain à la gorge, qui m'agrippe de ses petits doigts glaçons. Je bredouille, une bouillie informe de mots s'échappant d'entre mes lèvres maquillées. Je maudis le rose bégonia qui s'étale sans pudeur sur mon visage, marque en néon clignotant de ma culpabilité. Je suis fais la main dans le sac-à-main.
- C'est quoi ce merdier ?! Répond moi ! J'pige rien à c'que tu baragouines Drake !
Grayson me regarde, une répulsion totale noyant ses beaux yeux verts, ces yeux là même qui m'ont fait fondre il y a deux ans. Envolée sa belle verve, le vocabulaire d'avocat pointilleux qu'il s'oblige à utiliser pour dissimuler la Louisiane beurrée qui coule dans ses veines. Mais chassez le naturel il revient au galop. Le moment est parfaitement choisi pour faire fondre ses habituelles inhibitions.
- C-c'est pas c'que tu crois...
- Ah ouai ? Tu veux m'faire prendre un crocodile pour un lézard ?
Je grimace. Je suis fais, pieds et poings liés. Bien sûr que c'est exactement ce qu'il croit. Comment pourrait-il ignorer la perruque qui caresse mes épaules dénudés, la robe moulante qui se froisse sur un soutient-gorge à fausse poitrine ? Impossible de faire main basse sur un mensonge, sur une justification tenant, même un peu, la route. J'ai soudain envie de jurer, de l'insulter. Il pouvait pas rentrer un peu plus tard ? Me laissait macérer dans ma honte sans venir y ajouter la sienne ?
- J'ai juste, je... J'ai juste voulu essayer.
- Et ses fringues tu les as louées peut-être, pour essayer ? Ta perruque, le maquillage ? Les collants ?!
Son ton suinte tellement de répugnance que j'ai l'impression qu'il m'a claqué la paire de bas nylon en pleine figure. Je suis sonné, mis à terre par des résilles en caoutchouc. J'ai les jambes en château de cartes. Si j'ouvre la bouche le déplacement d'air engendré risque de m'effondrer. On devine trop facilement que ces vêtements ne sont pas de la première jeunesse, que je ne vient pas de les acquérir. Pour cause, c'était ceux de mon géniteur. Baissant la tête je cherche le moyen de m'en sortir. Personne encore ne m'avait surprit en plein... En plein quoi d'ailleurs ? Je ne sais même pas ce que je fais, comment je pourrais lui fournir des explications. De toute façon le mépris rétrécissant ses pupilles me coupe le sifflet.
- Merde... J'pensais pas que... T'es un trav' en fait ? Un putain de travelo ? C'est pour ça que tu bosses avec des gosses ? Pour en avoir par procuration ! Ou alors pour faire des trucs pires avec...
Mes mains se figent sur le bord du lavabo. Il faut que je me tienne, ses paroles en tornade vont me balayer, m'expédier direct dans le décors. Je secoue la tête, je veux dire non. Non non chéri je te jure, c'est juste, parfois, comme ça. Une envie fugace, un souvenir de mon papa p't'être bien. Je sais pas pourquoi je fais ça. J'aime pas les enfants, leur malheur de chiots des bords d'autoroutes me donne la nausée. Mais rien ne sort. Je me mets juste à pleurer, rigoles de khôl qui se dessinent sur mes jours tel une horreur intérieur qui s'écoule finalement au dehors.
- Te me dégoutes, t'approches plus jamais de moi.
Sa voix n'était même plus coléreuse. Il avait énoncé un fait, constater l'évidence de ses émotions. Je vais obéir. Baisser la tête sans savoir me défendre, m'en vouloir pour deux. J'ai obéi. Je n'ai plus approché un homme. Vivote la tortue entre sa moustache trop lourde et son tutu trop bombé. Le ridicule ne tue pas, dit-on. Il vous laisse pire que moribond.