Je le savais dors et déjà, en devenant prof, j'allais perdre mon temps à essayer d'éveiller un quelconque talent chez des jeunes n'en ayant rien à faire des vieux auteurs comme des plus jeunes. Entre les hyperactifs, pro révolutionnaires radicaux aux senteurs de pieds qui puent, mauvaise weed, bonnet du Che, et autres zombies sans personnalité, les errances somnambuliques en salle de cours sont monnaie courante. Arpentons ensemble les quatre coins de la salle, en lisant d'une voix monotone ce que ce bouffon de Balzac a pu écrire il fut un temps. NICE. Du pain et des jeux. Et parfois, l'idée me vient de la jouer Docteur Freud, et de leur faire coucher sur papier, noté, leurs pensées. Un mot, une phrase balancée, et tous -plus ou moins -, prennent leurs crayons en main pour me déblatérer leurs conneries. Hier, j'ai pioché le basique imaginez vous dans quinze ans. Les quinze ans, c'est bel et bien ce qui me séparait d'eux. En plus d'un léger coup de vieux accidentel, j'ai décidé de m'évaluer, de tester l'exam et me mettre en situation. J'ai de nouveau seize ans, le cul posé sur une chaise, à regarder le plafond pour compter le nombre de lattes présentes – et déjà comptées une bonne douzaine de fois. Inconscient subtile effaçant tout indice sur leur nombre, et te permettant de continuer à compter éternellement-.

Retour sur la déchéance d'un gamin.

Dans quinze ans, j'aurai une putain de baraque. Je serai un gros producteur de disques, pas la peine de me faire chier à bosser, tout me tombera directement dans le gosier.
Que dalle young boy. Je t'installerai dans une maison tout ce qu'il y a de plus normal, dans un quartier tout ce qu'il y a de plus normal. Le rêve de Bush, les quartiers sécurisés, aux maisons semblables les unes aux autres, les copies de copies. Le dimanche, je salirai mon jean à poser les genoux sur le gazon du jardin pour planter de nouvelles fleurs. Cass' veut de nouveaux géraniums, mais Cass le dimanche, prend le thé avec la voisine d'en face donc je te taperai son boulot sans rechigner.

La nuit, je sauverai le monde. Être producteur de disque et m'enfiler des marguarita suivie d'un rail de coke me défoncera tellement les neurones que j'enfilerai des slips rouges, on m'appellera The Real Captain America et je ferai bander l'Amérique.
The Real rien du tout. Ou the Real papa. Le seul américain que je sauverai de temps en temps seras mon fils, quand il tombera de vélo, les petites roues enlevées beaucoup trop tôt. Young boy, décroche les posters et balance les comics, et ne pense plus jamais à enfiler de slip rouges par dessus ton jean.

Ma femme se baladera seins nus dans Washington pour protester contre toutes les putains de guerres possibles. Moi je la suivrai, avec un join au coin des lèvres, on se rasera pas, on vivra d'amour et d'eau fraiche, on se fera des Woodstock genre comme en 1969, mais en 1997. Parce que moi, ma femme, je l'aime, et ça la dérange pas que j'aille voir ailleurs, mâles ou femelles.
Non, ma femme ne sentira pas le patchouli. On ne sera pas deux hippies de merde à déprimer à chaque fin de saison printanière. On s'aimera oui, Cass est une fille parfaite, travaillant dans la banque, une passionnée, passionnée par tout et n'importe quoi, spontanée, à la limite hyperactive. Trait de famille faut croire, comme son frère. Parce que oui, Young Boy, t'auras beau aimer Cass, t'aimeras aussi Gary.