I have the simplest tastes. I am always satisfied with the best.
Jamie était imperturbable. Concentrée sur sa feuille, elle laissait son stylet tracer des courbes, les yeux plissés et le regard fixe. Elle avait un important travail à terminer, chose qu’elle reportait depuis des semaines. Jusqu’à il y a trente minutes, où son intérêt avait brusquement ressurgi, la faisant tout lâcher pour se vautrer sur le canapé, sa tablette graphique et son macbook sur les genoux. Le reste du monde n’existait plus, et plus particulièrement sa colocataire. Leslie était pourtant lancée dans une longue et insupportable tirade, de grands gestes appuyant chacun de ses mots, et sa voix montant dans des octaves à la limite du raisonnable. Si à l’époque lointaine du lycée, les deux jeunes filles avaient été vaguement amies, il n’en restait plus grand chose aujourd’hui. Le côté maniaco-psychopathe doublé d’une paranoïa aiguë de Leslie avait eu tôt fait de lasser la brunette, et de toute façon, elle s’entendait bien mieux avec le sexe masculin. C’était un fait contre lequel elle ne pouvait pas luter, alors elle avait arrêté de faire des efforts. Alors autant dire que lorsque Leslie commençait une de ses crises, la brunette s’enfermait dans sa bulle, devenant un véritable mur. Impossible d’en tirer quoi que ce soit. Insupportable.
Posant sur elle un regard blasé, Jamie désigna de la main son précieux ordinateur.
« Je travaille, là. » La mauvaise foi. Un trait de famille.
« Mais on en discutera plus tard, promis. » Le ton moqueur était à peine voilé, si bien que la promesse était hautement utopique.
« Tu te fous de ma gueule! Est-ce qu’il y a une seule autre personne à part toi, qui t’intéresse ? » La jeune femme grimaça, tandis que les hurlements repartaient de plus belle. Réflexion faite, elle n’aurait peut être pas du relancer le conflit. C’était ridicule. Amusant, mais ridicule. Elle ne savait même pas quel était l’origine du problème. Peut être avait-elle vu l’état de la cuisine. Etat qu’elle pouvait parfaitement justifier, cela allait de soi. Ou alors était-ce la fête de la veille.
« Hey mais tu ne devais pas voir ... comment il s’appelle déjà ? Tom ? Don ? Hier soir ? » Elle se souvenait l’avoir vu passer dans l’appartement, entre deux shooters de tequila. Il était d’ailleurs celui l’ayant mis au défis.
« Ne me dis pas que tu gueules comme un chameau parce que tu n’as pas réussi à sauter ce gars ? Ridicule. Et je ne parle pas de ta crise. » Attrapant son iphone, Jamie pianota quelques mots, avant de le balancer dans son sac. Plier son ordinateur et sa tablette ne prit qu’une minute de plus et la suivante, elle avait déjà pris la porte. L’appartement de son frère était son eldorado. Au moins lui, il ne couinait pas comme une gonzesse.
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Un café. C’était tout ce qu’elle demandait. Un café et le silence. Mais ce n’était pas son jour de chance, elle le savait avant même d’avoir appuyé sur la Senseo. C’était toujours le problème lorsque l’on ramenait quelqu’un chez soit, il n’était que rarement question de boire son café seul. Jamie était en train de boire sa première gorgée, qu’une silhouette émergea du couloir. Les cheveux ébouriffés, les yeux fatigués, il s’assit lourdement à ses côtés, posant sa tête sur le comptoir américain. Il avait tenu à peine trois minutes. C’était un désastre. La jeune femme resta sans broncher, espérant l’espace d’un instant que si elle était parfaitement immobile, il finirait par partir. Mais Lucas n’avait pas pour habitude de faire ce qu’on attendait de lui. Sinon, il serait parti trois jours auparavant. Au minimum.
« Que veux-tu faire aujourd’hui ? » finit-il par demander, relevant la tête. Haussant un sourcil par dessus sa tasse, Jamie réprima de peu une grimace.
« Aujourd’hui ? Je ... pensais que tu avais des choses à faire chez toi ? » Une semaine qu’ils se voyaient tous les jours. Les premiers jours étaient amusants. Jamie n’était pas vraiment une solitaire, même si elle avait besoin de se retrouver seule régulièrement. Elle aimait sortir, voir du monde, être entourée. Mais pas vivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec quelqu’un. Et encore moins avec quelqu’un qui pensait franchir un nouveau cap dans sa relation. A savoir, entrer dans la catégorie des couples sérieux.
« Je peux annuler. Vu que tu n’as pas cours aujourd’hui, autant en profiter. » Elle était dans la merde, et c’était un euphémisme.
Elle n’était pas ce genre de femme. A mener une vie tranquille et parfaitement rodée, à rester avec la même personne. A programmer ses journées une semaine en avance, et à faire tout ce qu’on attendait d’elle. Elle en était incapable, pas dans ces conditions. Parce que l’ennui revenait trop vite. Elle se lassait si facilement, quand il n’y avait rien d’autre que la normalité. Certains préfèreront la juger comme étant une fille facile, et ils étaient bien loin de la vérité. Et au lieu de rétablir la vérité, elle préférait en rire ouvertement. Elle se foutait complètement de ce que l’on pouvait raconter sur elle.
« Je ne crois pas que ça soit une bonne idée. » Son ton était banal, elle aurait parfaitement pu demander du lait sans choquer qui que ce soit.
« Qu’est ce que tu veux dire ? » Un soupir s’échappant de ses lèvres, Jamie acheva sa tasse avant de se lever.
« Je veux dire que je vais me doucher, et que je file. On s’appelle dans la semaine, ok ? » C’était un mensonge, mais qu’importait. Elle n’attendit pas de réponse, disparaissant dans le couloir. Elle savait qu’il finirait par partir de l’appartement. C’était ce qu’ils faisaient tous.